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TERRES DE SAVEURS ET SAVOIRS
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5 avril 2016

Aimer La femme du boulanger

Ami lecteur plein d'esprit et lectrice avisée, je sais ce que vous allez dire. Non mais t’as vu ce qu’il va voir au cinéma le B&P :  du cinéma d’antan, des trucs de vieux, du noir et blanc. Et les histoires, je vous dis pas ! des mélos à deux euros ! des films cucul la praline. On se demande ce qu’il lui prend.

femme-du-boulanger-02-gJ'avoue : je suis allé revoir La femme du boulanger de Marcel Pagnol. J'ai toujours été antimoderne. Et j'aime le bon pain !

1938. Le boulanger Aimable Castanet s'installe avec sa femme Aurélie dans un petit village de Haute-Provence, où ragots et médisances vont bon train. Expansif et volubile, Aimable fait vite la conquête des habitants et son pain est le meilleur jamais dégusté au village. Aurélie, timide et réservée reste les yeux fixés sur sa caisse. Mais un beau jour, elle s'enfuit avec Dominique, le berger du Marquis de Monelles. Désespéré, Aimable perd la tête et refuse de faire son pain. Les villageois se mobilisent pour qu'Aurélie lui revienne.

Marcel Pagnol adapte Jean Giono en portant sa nouvelle à l’écran. Il retrouve Raimu, avec qui il avait partagé le triomphe de sa trilogie marseillaise. Un Raimu grandiose, émouvant et drôle, jusque dans son prodigieux cabotinage (la scène de la soulerie). Pagnol est fidèle à son sens du récit privilégiant les longs dialogues et le plan séquence, s’inscrivant dans un cinéma de la parole représenté en France par des cinéastes aussi différents que Sacha Guitry ou Éric Rohmer. Les décors naturels de la Provence s’insèrent dans un dispositif qui se rapproche du théâtre. L’adultère, au centre de l’histoire, permet à Pagnol de valoriser à nouveau le thème du pardon, moins au sens religieux (malgré le discours final du curé) qu’humaniste. La misogynie du dénouement, qui voit le boulanger insulter une chatte revenue au bercail, car n’osant pas s’adresser à son épouse prise de remords devant lui, doit être replacée dans le contexte de l’époque et ne saurait étiqueter Pagnol au rayon des moralistes.

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Les grenouilles de bénitier (savoureuse Maximilienne) et le prêtre borné sont d’ailleurs renvoyés à leur mesquinerie. « Ceux de qui la conduite offre le plus à rire sont toujours sur autrui les premiers à médire », écrivait Molière. La femme du boulanger, maintes fois diffusé à la télévision à une époque révolue où le noir et blanc n’effrayait pas le prime time, se déguste plan par plan, réplique par réplique, Pagnol n’oubliant pas de mettre en valeur le moindre second rôle, jamais réduit au statut de simple faire-valoir. On n'est pas chez Claude Berri et autres cinéastes qui se servant de l’univers de Pagnol pour filmer des numéros de stars, La femme du boulanger met l’accent sur un cinéma de troupe : de la dispute entre l’instituteur et le prêtre au sujet de Jeanne D’Arc à la révélation interminable de Maillefer dit Patience, en passant par le sermon paternaliste du marquis ou l’engueulade d’un garçon berger, « escagasseur de réputation », c’est toute une série de situations cocasses révélant l’amour du métier de comédien. Ginette Leclerc en boulangère adultère conquit ses galons de vedette qui lui permirent d’incarner à jamais la « garce » du cinéma français. 

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Adaptation d'un épisode du roman Jean le Bleu de Jean Giono. Au moment de la sortie du film en 1938, Henri Jeanson, grand critique, écrit dans une chronique parue dans le journal La Flèche :

« [...] D'une nouvelle de Jean Giono, Pagnol a tiré un film tout simple, un film admirable, un film qui a de la noblesse et de la grandeur, un film déjà classique. Il a pris des personnages de tous les jours, un instituteur, un berger, un boulanger, un curé. Il a pris une anecdote éternelle et banale : l'anecdote du mari trompé. Il a pris un acteur : Raimu. Et il a pris son porte-plume. Voilà pourquoi son film n'est pas muet. Et voilà pourquoi son film est un chef-d'œuvre. Du cinéma ? Non, du Pagnol ! Pagnol n'a pas essayé de photographier la Provence, ce n'est pas son affaire. Il n'a pas essayé de trouver l'émotion dans sa caméra, ce n'est pas son métier. [...] Il a fait parler Raimu. Il a fait jouer Raimu. Il n'a pas quitté Raimu, il n'a pas cessé de tourner autour de Raimu. Il a pris Raimu en flagrant délit de talent. Et nous avons constaté que le Raimu pagnolisé était mille fois plus émouvant que tous les travellings du monde, mille fois plus passionnant que toutes les aventures du monde, mille fois plus suggestif que tous les artifices du monde [...]»

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Le cinéma de Marcel Pagnol, ce n'est pas que la trilogie marseillaise : Marius, Fanny et César. C'est aussi Topaze avec le célèbre Fernandel à contre emploi. Mais l'on pourrait citer et inviter à voir Angèle ou Regain, d'après Giono dont il fera un temps son ami et scénariste. Il fait jouer les plus grands acteurs français de l'époque Raimu, Pierre Fresnay, Fernandel, amis avec qui il joue à la pétanque entre deux scènes.

Tout ceci pour vous dire qu'il faut lire ou relire Marcel Pagnol mais surtout voir ses films où l'on parle de tout sauf de la Provence des cartes postales et de pétanque. Une occasion aussi de pénétrer l'épaisseur de nombreux personnages et d'un temps qui n'est plus mais qui symbolise au travers des films un moment de notre histoire. 

Il est parfois bon de délaisser les séries télévisées pour s'enfermer dans des salles obscures et participer à un moment de l'histoire du cinéma. 

On voit par là que la boulangerie mène à tout sans pour autant nous laisser dans le pétrin. Et qu'elle peut être source de bienfait.

Mangez du bon pain et allez au cinéma !

B&P (qui aime les pagnolades !)

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