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TERRES DE SAVEURS ET SAVOIRS
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19 juin 2016

Le pain chez Francis Ponge

 

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La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

Francis Ponge, Le Parti-pris des choses, 1942.

 

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Le Parti pris des choses est un recueil de poèmes en prose écrit par Francis Ponge et paru en 1942. Ponge décrit des « choses », des éléments du quotidien, délibérément choisis pour leur apparente banalité. L'objectif de ce recueil est de rendre compte des objets de la manière la plus précise possible en exprimant les qualités physiques du mot. Plus simplement, il veut rendre compte de la beauté des objets du quotidien. Aussi le poète use-t-il de tous les moyens à sa disposition pour créer ses propres objets poétiques : poésie du cageot, paradoxale ; poésie des objets de consommation : le pain ; poésie de la nature enfin, dans ce qu'elle a de plus concret. Ce regard sur les objets prend leur parti, c'est-à-dire qu'il leur rend justice en ne les enfermant pas dans des stéréotypes

On entre dans l’œuvre de Ponge comme on entrerait dans un grenier où s’entassent des souvenirs d’enfance que l’on redécouvre sous des draps poussiéreux, l’essence de ce que l’on avait oublié : un cageot, une huître ou une bougie. Nous expliquant que la chose n’est pas l’objet et que ce qui est en jeu est bien la langue, il nous propose une poésie révolutionnaire – ne serait-ce que dans le choix des objets quelque peu subversif – et semble vouloir rompre avec les codes sociaux, les traditions qui ramènent inlassablement la poésie à une matière noble. Une critique à peine muette de valeurs sans doute perdues.

 

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L’auteur avoue un objectif : faire du Parti Pris des Choses une cosmogonie, construire un discours sur la Nature – divisée en trois règnes : minéral, végétal et animal – dont les choses seraient les réalités. Ainsi, la chose se fait prétexte à un exercice poétique et linguistique. Ponge travaille sur les sens, les mots, le signifiant, la forme des choses. Au détour de la prose, on découvre des vers cachés (L’Orange), des sonorités (assonances et allitérations), il faut prouver à tout prix que les mots ne sont pas uniquement des faiseurs de sens mais qu’ils peuvent être ce que l’on veut qu’ils soient et pour cela Ponge joue avec la langue, la polysémie, les dimensions sémantiques ou encore les phénomènes visuels. L’auteur donne une signification poétique aux mots qui se font sous sa plume à fois métaphore et topique, il refonde les choses afin de se faire producteur de sens.

Mais surtout, au cœur de la poésie de Ponge, au cœur de ces choses, on trouve cette réalité informe de la parole qui doit produire une formule, une préciosité poétique. N’hésitant pas à se comparer à un escargot dans le poème du même titre, l’auteur livre sa propre leçon de choses opposant l’usage quotidien des mots contre une parole régénérée qui serait la parole poétique : chacun s’il le désire peut se faire poète tant qu’il prend selon Ponge, le meilleur parti qui « est donc de considérer toutes choses comme inconnues, et de se promener ou de s’étendre sous bois ou sur l’herbe, et de reprendre tout depuis le début. »

 

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Sa poésie est complètement novatrice. Écrite en prose, elle prend le contrepied de la poésie romantique et n’est pas non plus une poésie d’opinion, une poésie engagée. Pour Ponge, la mission du poète ne consiste pas à étaler ses sentiments, mais à atteindre au plus juste la matérialité d’un objet, d’une « chose ». Il est le poète des objets les plus banals. Pour lui, les choses ont une existence propre et deviennent objets poétiques, dès lors qu’on les observe attentivement.


Les titres de ses deux premiers recueils, Le Parti pris des choses (1942) et Proêmes (1949), explicitent son projet.

C'est pourquoi il faut lire Francis Ponge en mangeant son pain ou bien achetez du pain et lisez Francis Ponge !

B&P (sans parti-pris)

 

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