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TERRES DE SAVEURS ET SAVOIRS
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29 décembre 2015

Voir, revoir ou lire le Festin de Babette

Et si, en ces périodes de fêtes, l'on décidait de réaliser le repas du Festin de Babette. Chiche ! Car avant d'être un repas et un film, le Festin de Babette fut un conte. 

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Karen Blixen écrit Le festin de Babette directement en anglais. Il parait sous le titre Babet's feast dans la revue américaine Ladies' home journal en juin 1950. En 1952, le conte est publié au Danemark sous le titre Babettes Goestebug (le festin de Babette) traduit par Jorgen Claudi, le traducteur officiel de Karen Blixen en danois. Enfin ce conte paraît en 1958 au Danemark. Mais Karen Blixen ne se contente alors pas de traduire elle-même. Elle l'amande, le modifie, le réécrit. Karen Blixen a quitté l'Afrique anglophone depuis 1931, elle parle aussi fort bien le français et l'allemand mais son style en danois est plus riche et plus précis. La version de 2007 chez Folio remplace ainsi celle de 1961, le dîner de Babette, traduit par Marthe Metzger.

Un soir d'orage de 1871, Babette, réfugiée française, arrive dans un lieu sauvage. Fuyant Paris et la répression qui s'abat sur la Commune, elle demande refuge à Filippa et Martine avec une lettre écrite par Achille Papin. Forte de son art de la cuisine, Babette s'intègre au pays, son seul lien avec la France étant un billet de loterie qu'elle rejoue tous les ans.

Quatorze ans après son arrivée, elle gagne le gros lot 10 000 francs. Avec l'argent, elle se propose d'offrir aux habitants du village "un dîner français" à la place de l'habituel souper suivi d'une tasse de thé pour fêter l'anniversaire de la mort du pasteur. Effrayées par l'abondance de nourriture et de vin, Filippa et Martine n'acceptent qu'avec dégoût ce qui leur parait un excès démoniaque. Elles font promettre aux convives qu'ils ne diront rien sur ce qu'ils mangeront ou boiront.

Le général Lorenz Lowenhielm, en visite chez sa tante et qui s'est invité ne sait rien de ce complot. Il commente avec délectation les plats succulents qui défilent devant eux. Il reconnaît en Babette la chef du restaurant le plus connu de Paris, le Café anglais.

Le repas ne se limite pas à une euphorie sensuelle. Le groupe des disciples qui s'était défait autour de la table précédente, se refait par la table de Babette et l'acceptation de la corporéité, non comme une puissance de mort maléfique mais comme lieu possible d'une présence divine : la réconciliation n'en est-elle pas le signe le plus manifeste ? Le spirituel serait-il dans le plus corporel ? Le billet de loterie est dépensé pour la gratuité.

C'est l'invité de marque du festin, le général Löwenhielm, qui reconnaît les « cailles en sarcophage » du "Café anglais" et qui rappelle qu'un grand repas peut être une histoire d'amour, en levant son verre à celle des deux vieilles filles qu'il a toujours aimée mais qu'il n'a pas pu épouser. Grâce à la nouvelle de Karen Blixen, Gabriel Axel a réalisé la mise en scène admirable de précision et de sobriété jusque dans les détails et dans ce stupéfiant contraste entre la vie triste et misérable de ce sinistre village luthérien et ce dîner fantastique, véritable débauche de mets succulents et de vins prodigieux, comme le Clos Vougeot 1845, si parfaitement inattendu dans ce paysage nordique austère, glacial et battu par les vents. Le prodige du film, indiqué par le petit speech du général qui conclut le dîner, est que c'est le festin qui accomplit la communion de tous les convives et des amants séparés que le pasteur n'avait jamais réalisée — il les avait séparés pour sa propre satisfaction.

Le festin est somptueusement mis en scène. Il se compose d'une soupe de tortue servie avec un amontillado. Le champagne, Veuve Clicquot 1860, accompagne les blinis Demidof à base de caviar. Les cailles en sarcophage, invention de Babette, sont servies avec un Clos Vougeot. Elles sont suivies d'un plat de salade d'endives, de fromage, d'un gâteau, un baba au rhum et de fruits. Un café avec pour digestif un vieux marc fine champagne finissent le festin. 

Le festin de Babette n'est pas fait pour les pauvres gens. Ils seront néanmoins conquis mais l'important pour Babette est de se surpasser une dernière fois, de montrer qu'elle est artiste.

Le Festin de Babette s’avère donc être davantage qu’un simple repas : il contient un message universel. Les pieux paysans s’interdisent tout plaisir gastronomique et ne se contentent que des mets qui répondent à leur besoin de se nourrir. Leur rapport à la cuisine s’apparente à un rapport à la mort, puisqu’ils se privent de plaisir pour accéder au paradis. Le repas proposé par Babette est une toute autre attitude possible face à la conscience de la mortalité. C’est justement par sa façon de cuisiner qu’elle fait accéder au paradis, le paradis terrestre certes. La cuisine de Babette introduit le culte de l’instant présent. Et lors du repas s’opère une totale transposition des valeurs : les croyants deviennent les profanes ; et le général Löwenhielm devient le pasteur, qui déclare d’ailleurs dans la nouvelle de Blixen « Cette femme est capable de transformer le moindre repas au café anglais en une sorte d’affaire d’amour, (…) où on ne sait plus faire la part entre l’appétit physique et l’appétit spirituel, voire entre la satiété et la plénitude. ». Théologiquement, cela revient à dire que le plaisir fait partie de la nature, c’est donc un don de Dieu, une grâce, et jamais un péché. Le film nous incite, nous aussi, à savourer ce que nous mangeons, comme si c’était le dernier repas.

Ce film reçut le Prix du public au festival international Cinéma et gastronomie à Dijon. Festival qui hélas n'existe plus. Qui reprendra le flambeau ? On attend encore. 

  Le  Menu : 

 Soupe de tortue géante

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 Blinis Demidoff

 Cailles en sarcophage farcies au foie gras et sauce aux truffes

 Salade d’endives aux noix

 Fromages

 Baba au rhum et fruits confits

 Fruits frais

 Raisins, figues, ananas

Les Vins

Amontillado

Veuve Clicquot 1860

Clos Vougeot 1845

Café et Fine Champagne

 Pour vous procurer le DVD : Film danois (1987) de Gabriel Axel avec Stéphane Audran, Bodil Kjer, Birgitte Federspiel, Jarl Kulle, Jean-Philippe Lafont (1h42). Editeur : Carlotta-Films. Nouveau master restauré HD. 

 

En forme d'épilogue : Le Festin de Babette existe à Saint Antonin Noble Val (Tarn-et-Garonne)

Comme le dit la réclame, terme inusité aujourd'hui : "Une vue magnifique sur les rives de St Antonin et une grande terrasse ombragée pour vous accueillir. Le Festin de Babette, une cuisine à la fois traditionnelle et inventive faite de produits frais et régionaux. Des saveurs riches et variées, des plats confectionnés et adaptés aux exigences des saisons.  Dès les beaux jours vous profiterez de ses belles terrasses ombragées avec vue sur l' Aveyron et le village médiéval.  Derrière les baies vitrées lumineuses qui s'ouvrent sur le village, ou près de la cheminée durant les soirées d'hiver, la salle du restaurant, à la fois moderne et chaleureuse, vous convie toute l'année à déguster la cuisine de Babette. "

Un peu comme la Commune, Babette n'est pas morte !

Que cette fin d'année soit l'occasion d'un, voire plusieurs festins !

B&P 

 

 

 

 

 

 

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